Le cimetière chinois de Nolette

Quand on se penche un peu sur l'histoire du colonialisme et des relations de domination à travers le monde, on vient toujours trébucher sur des cimetières. Comme dans la Somme.

Les Européens se sont bien étripés entre 1914 et 1918. Mais s'étriper industriellement, ça demande des petites mains. Ces petites mains, dans la Somme, secteur anglais, elles furent entre autres chinoises. Importés, puisque c'est le terme utilisé des comptoirs britanniques de Chine, les travailleurs chinois enterrés à Nolette, hameau de Noyelles-sur-Mer, morts loin, très très loin de chez eux, sont au final une version hardcore de l'importation des travailleurs Italiens, Polonais, Yougoslaves, Portugais puis Marocains, Sénégalais et j'en passe qui ont contribué à faire la France, et parfois à la refaire une fois que nous avions consciencieusement tout détruit.

Bon, c'était en passant. Les morts de Nolette sont chinois. Au service de sa Gracieuse Majesté. Sur le sol français. Mortalité naturelle dans un groupe d'hommes vivant longtemps au même endroit, mais aussi accidents de travail, maladies (en particulier le choléra) et surtout la charmante grippe espagnole de 1918-1919 qui fit son petit effet, en particulier chez ces populations parquées et forcées à la promiscuité, et pas toujours bien vaillantes face à nos petites maladies du terroir...

12000 travailleurs chinois en France, les "coolies". Déchargeant des bateaux, des trains, des camions, des charrettes, entretenant et réparant les routes, les ponts, les chemins de fer, s'occupant de porter des munitions: 838 stèles. La plus grande nécropole chinoise de France, ici, au milieu des champs, dans la Baie de Somme.

Kipling a rédigé les épitaphes des soldats britanniques tombés au champ d'honneur. Qui a rédigé celles des travailleurs chinois tombés "obscurément"?

Une pensée pour ces gens sortis de leur lointaine Chine, trimballés ici dans la promesse d'une vie meilleure, pour venir participer à une guerre ne les concernant même pas, parqués dans des camps, avec interdiction de contact avec la population. Mais l'humain est un curieux. J'ai vu des photos dans le bourg voisin de Noyelles de gens posant avec des Chinois dans le village. Malgré ces contacts sûrement très encadrés, on ne peut s'empêcher d'imaginer l'aspect "zoologique" qui devait présider à la curiosité de la majorité des locaux. Curiosité compréhensible dans le contexte, d'autant plus que cette attitude était institutionnalisée.

Certaines tombes sont tardives. Longue convalescence à l'issue finalement fatale? Maintien de travailleurs du Chinese Labour Corps sur place pour la reconstruction?...

Un drôle de moment dans ce cimetière solitaire, au milieu des champs, battu par les vents, parfois se mettant à briller sous les coups brusques et éclatants du soleil de la Somme. Et puis cette voiture immatriculée 75 qui arrive soudain, une vieille chinoise qui en sort, avec un homme et trois jeunes filles. Et cette vieille dame qui vient montrer la tombe d'un aïeul à ses arrières-petites-filles... un drôle de moment, vraiment, saisissant.

(26 février 2010)

Une petite remarque: la guerre est-elle vraiment terminée à Noyelles-sur-Mer?